Nouvel outil, nouvelles méthodologies
Des nouvelles techniques de prélèvement et d’analyses d’ADN, à partir d’échantillons de sol ou d’eau, associées aux outils de data-mining des systèmes d’information géographique permettent de mesurer l’évolution de la présence d’espèces dans un écosystème.
Le Parc National de la Guadeloupe mène actuellement en Basse-Terre des tests de mesure de l’évolution de la présence des espèces exotiques invasives en réalisant des inventaires de poissons et crustacés des cours d’eau, par pêche à l’électricité et par analyse ADN environnemental (ADNe)
Inventaire piscicole par électrocution
Facile à mettre en œuvre et peu coûteuse, la pêche à l’électricité est probablement la méthode la plus répandue pour réaliser un inventaire de population. C’est la méthode notamment utilisée pour mesurer l’indice poisson rivière (IPR) : on effectue régulièrement des inventaires dans des stations et on surveille les variations.
Cette méthode est considérée comme non traumatisante pour les poissons, et donc la moins susceptible d’affecter les chroniques de suivis à moyen et long termes. Ces avantages en font la technique d’échantillonnage la plus utilisée en France et à l’étranger : les protocoles d’échantillonnage par pêche électriques sont utra-normalisés : normes NF T90-344, EN 1401, EN 14962 et XP T90-383.
L’ADN environnemental (ADNe)
l’ADNe 1 permet de faire l’inventaire des espèces présentes dans un milieu à partir de l’ADN pouvant être extrait d’échantillons environnementaux d’eau ou de sol, donc sans avoir besoin d’isoler les organismes cibles.
Pour réaliser un inventaire piscicole via ADNe, un opérateur prélève un échantillon d’eau, filtré à travers une membrane stérile qui retient les cellules et les mitochondries libérées par les espèces présentes. Puis, ce prélèvement est envoyé en laboratoire pour être analysé grâce à un séquençage génétique.
Cette méthode est très récente : un premier protocole d’échantillonnage d’ADNe a été proposé en 2008 et testé pour la première fois en France pour l’inventaire de la Grenouille taureau. Ce test a permis de détecter l’espèce sur l’ensemble des sites où sa présence était avérée.
Protocoles et kits développés par SPYGEN
Le laboratoire SpyGen à créé des outils et des protocoles pour les analyses ADNe en milieu aquatique.
- pour les eaux stagnantes des mares ou des étangs, le protocole nécessite 20 prélèvements d’eau de 100 mL
- pour les eaux courantes, les prélèvements sont réalisés grâce à un petit bateau télécommandé : pour chaque prélèvement, 30 L d’eau sont filtrés pendant 30 minutes.
Des méthodes complémentaires
Approche qualitative
Les 2 méthodes sont complémentaires : l’ADNe permet de détecter des traces d’espèces non observées. Il a été démontré que pour certaines espèces très petites et peu présentes, il existe un seuil de détection. Par exemple, la crevettes petit bouc de Guadeloupe (Potimirim potimirim et P. glabra) n’est pas détecté si on trouve un seul individu.
Au Japon, l’eADN est utilisé conjointement avec des SIG pour suivre l’évolution d’écrevisses invasives et a permis récemment de découvrir de nouvelles zones d’habitats pour des salamandres en voie de disparition
Approche quantitative
L’ADNe ne donne pas d’information ni sur la l’importance de la population détectée ni l’âge des individus présents. Des chercheurs espèrent pouvoir estimer la population d’une espèce grâce à cette méthode, cependant à l’heure actuelle l’ADNe présente un haut degré d’incertitude statistique. Les principaux écueils sont la taille et les stades de vie des individus : un œuf de grenouille relâche-t-il autant d’ADN qu’un têtard ou un adulte ? ainsi que le flux de la rivière et les caractéristiques physico-chimiques de l’eau (pH, ensoleillement, température) qui influent sur la stabilité de l’ADN.
Bientôt un framework pour determiner la densité des populations ?
Une étude publiée en 2018, permet d’envisager prochainement l’utilisation de l’ADNe pour déterminer la densité d’une population aquatique. La modernité de cette approche et de ses auteurs est également palpable dans les modalités de publication des auteurs : ces études sont disponibles en open access et diffusées sous licence Creative Commons
Guad3E : l’ADNe et la lutte contre les EEE en Guadeloupe
Le Parc National de la Guadeloupe expérimente actuellement ces 2 méthodes d’inventaire piscicole, dans le cadre de la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, cause d’appauvrissement de la biodiversité. Il s’agit du projet Guad3E, cofinencé par l’Union Européenne et réalisé avec le laboratoire SpyGen.
J’ai déjà relayé sur ce blog l’état préoccupant de la faune aquatique de Guadeloupe. Le but du projet Guad3E est de détecter les EEE présents dans les cours d’eau de Guadeloupe, afin d’aider à prendre des mesures de gestion appropriées. Pour le moment, il ne s’agit que d’une expérimentation sur 9 cours d’eau et 18 stations, mais le parc envisage d’ores et déjà d’étendre l’étude à l’ensemble du territoire.
Les résultats publiés récemment à l’occasion de la campagne saison carême2 ont permis de comparer les 2 méthodes sur 13 stations.
À partir de ces premiers résultats, on peut remarquer que la méthode par ADNe est très efficace pour les poissons, la richesse spécifique obtenue par cette méthode est supérieure ou égale à celle obtenue par pêche électrique sur les 13 stations. Elle est également efficace pour les crustacés où la richesse spécifique obtenue par cette méthode est supérieure ou égale à celle obtenue par pêche électrique sur 11 stations
Parc National de la Guadeloupe / Guad3E / Campagne « saison carème »
Mr Hackquarium et les EEE en Guadeloupe
Certaines études récentes supposent que la faune amphidrome pourrait voyager dans le ballast d’eau des bateau, et les juvéniles relâchés dans les ports d’arrivée remonteraient les cours d’eau depuis les ports maritimes.
Je suis d’ailleurs en rapport avec un chercheur du département Genetics de Harvard qui m’a aidé pour l’identification de Macrobrachium et auprès de qui je me suis engagé à signaler tout spécimen exotique3.
Cependant, les espèces exotiques envahissantes que j’ai pu rencontrer sont plus certainement arrivées là à cause d’aquariophiles inconscients ou négligents. Si certaines espèces de poissons comme le Xiphophorus helleri, introduites par des aquariophiles dans les années 70, sont aujourd’hui considérées comme naturalisées, d’autres espèces nouvellement présentes occupent la niche écologique d’espèces locales comme les pléco qui se développent au détriment des colle-roche, des petits gobiidés locaux. Par exemple, au Raizet, on trouve des colonies de centaines de plécos, dont certains très gros. L’infestation est telle que les locataires d’appartements inondés suite au cyclone Maria (2017), en ont trouvé plusieurs chez eux !
Sources
- Méthodes d’échantillonage ADNe par SpyGen
- Species detection usingenvironmental DNA fromwater samples (PDF, anglais)
- Improved detection of an alien invasive speciesthrough environmental DNA barcoding (PDF, anglais)
- GIS and eDNA analysis system successfully used to discover new habitats of rare salamander (Japon, anglais)
- Environmental DNA proves the expansion of invasive crayfish habitats (Japon, anglais)
- An analytical framework for estimating aquatic species density from environmental DNA (PDF, anglais)
- Filet de pêche ou éprouvette ? (Guyane)
- Présentation du projet Guad3E
- GUAD3E : Campagne « saison carême » (PDF)
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